Né en 1947 dans le Gers de parents émigrés italiens, Bernard Vavassori a enseigné l’espagnol pendant près de quarante ans dans plusieurs collèges et lycées de Midi-Pyrénées.
Amoureux des langues en général et latines en particulier, collectionneur de vocabulaire comme d’autres collectionnent les papillons, il a cherché à montrer la capacité du français méridional à exprimer de façon chaleureuse et colorée, les faits, les paroles et les sentiments du quotidien.
En 1999 il publie Avé Plaisir, recueil de mots et expressions issus de l’occitan et qui ont enrichi le français parlé dans le Sud-ouest. En s’agrandissant ce recueil s’est converti en dictionnaire sous le titre A bisto de Nas, publié en 2002 (267 p.).
En 2005 il publie La Bise et l’Autan, dictionnaire de dictons et proverbes occitans commentés et traduits en français (330 p.). Les trois ouvrages mentionnés ci-dessus sont illustrés par le gascon Pertuzé et édités aux éditions Loubatières : http://www.loubatieres.fr
Après Avé plaisir puis A Bisto de nas, dictionnaires des mots et expressions du français parlé dans le Sud-Ouest, Bernard Vavassori a voulu compléter sa moisson de phrases sonores et expressives qui agrémentent le parler méridional par ce dictionnaire où, locutions, proverbes et dictons occitans sont traduits en français afin que quiconque ne connaissant pas la langue du Sud de la France puisse tout de même en apprécier la saveur, et que ceux nombreux qui savent la lire puissent y retrouver la phrase originale.
Parmi les centaines de proverbes, dictons et autres locutions occitanes que nous avons rencontrés pour réaliser cet ouvrage, nous en avons conservé quelque trois-mille. Les plus pittoresques, les plus poétiques, les plus vrais.
La plupart émanent du milieu rural, fleuris des images des êtres, des choses et des phénomènes mystérieux qui étaient son quotidien. Toujours pleins de bons sens, quelquefois pessimistes, très souvent misogynes, parfois naïfs. Chaque fois émouvants car étant le legs degens humbles et travailleurs, tels que l’étaient nos parents et nos grands-parents pour qui le monde était rude, parfois impitoyable, souvent arbitraire.
Notre parti pris a été de classer ces expressions par mots-repères et non par thèmes. Ils ne sont pas non plus séparés par dialecte (gascon, languedocien ou provençal). Ainsi pourra-t-on trouver une phrase gasconne suivie d’une locution languedocienne, elle-même suivie d’un proverbe provençal. Ce qui pourra surprendre d’ailleurs, d’autant que le choix de la graphie diffèrera suivant la région. L’effet immédiat d’un tel classement est de faire apparaître malgré la diversité des écritures, l’unité de sens et l’homogénéité de la langue du Midi. D’Ouest en Est.
Le lecteur pourra également être surpris que la priorité soit donnée ici à la phrase française plutôt qu’à la phrase occitane, puisque c’est celle-là qui apparaît en premier dans les pages de ce dictionnaire. Le but ici est en réalité de célébrer, non pas la beauté de la phrase française, mais bel et bien celle de la phrase occitane. En effet, comment apprécier celle-ci, si le lecteur ne la comprend pas parfaitement ou même pas du tout ? Comment un lecteur de la France d’Oïl pourra-t-il percevoir la saveur de notre langue méridionale si au lieu de la lui traduire exactement nous lui donnons les équivalents extraits de sa propre langue ?
Notre objectif a donc été de donner à tout prix le sens littéral de la phrase.
Prenons quelques exemples :
Crompar a fuoc d’argent qui a pour équivalent français Acheter à prix d’or n’a pas été rendu comme tel mais justement par la traduction littérale, à savoir : Acheter à feu d’argent.
Voler èsser a l’autar e a las campanas qui sera rendu en français par Courir deux lièvres à la fois sera traduit par Vouloir être à l’autel et aux cloches, comme le dit mot pour mot le proverbe occitan.
Ainsi le lecteur pourra-t-il apprécier à sa juste valeur les métaphores dans chacune des deux langues.
Par ailleurs certaines appellations ou formulations populaires sont très peu connues aujourd’hui, même dans le Midi, car seule une minorité de gens comprennent ou parlent couramment l’occitan. N’est-il pas savoureux d’apprendre, grâce à la traduction, que dormir à la belle étoile se dit en occitan : dormir à la rosée du soir ou bien dormir au vent léger (dormir a la serena) ? Que la citronnelle devient l’herbe aux abeilles (l’èrba d’abelha) ? Que l’horizon se dit pied de ciel (pe de cèu) ? Que faire la tête devient faire une tête de sabot (far un morre d’esclòp) ? Qu’attraper un coup de soleil se dit attraper un coup de lune (agafar un cop de luna). Qu’un déjeuner de soleil ce sont des plantes qui fleurissent peu de temps (un dejunar de solelh), Qu’être vieux comme Mathusalem se dit avoir cent ans de dimanches. etc. ?
Imaginons modestement que ces images ignorées de tous les amoureux de beaux textes français se mettent bientôt à en orner et en agrémenter les discours, et que les dictionnaires signalent telle ou telle expression française, dorénavant couramment usitée, comme originaire de l’occitan – et pas seulement du « provençal » comme certains ouvrages avaient la fâcheuse habitude de mentionner à tort – on pourrait alors trouver par exemple dans le Petit Larousse 2029 :
Puce. n.f. (lat. pulex,-icis). Insecte pouvant atteindre 4mm (…) Fam. Il est l’heure d’aller faire téter les puces : il est l’heure d’aller se coucher (Origine occ. : Es ora d’anar far tetar las piuses). Avoir de l’argent comme un chien des puces : être très riche, être plein aux as (Origine occ. : Aver d’argent coma un can de piuses).
A Bisto de Nas est un recueil de mots, expressions et tournures du français populaire parlé dans le Midi toulousain, et d’une manière plus large, dans le Sud-ouest. Les mots ou expressions sont des francisations de l’occitan (languedocien, rouergat ou gascon), les tournures sont souvent de simples calques de la syntaxe occitane.
D’aucuns diront qu’il s’agit d’un relevé d’incorrections françaises ; on peut les nommer aussi différences par rapport au français officiel, de la même manière que l’on reconnaît que le français parlé en Belgique, en Suisse, dans les DOM TOM, au Québec ou en Afrique est différent de celui parlé dans l’Hexagone. Parler d’incorrections laisserait supposer que l’auteur cherche à montrer comment il faut bien parler. Ce n’est pas le cas.
Parler de différences, c’est affirmer le caractère de la langue que l’on parle chez nous et revendiquer sa légitimité, même si celle-ci peut difficilement s’exporter en dehors des limites de la région. La langue maternelle c’est le cocon où l’on a vécu enfant. La retrouver, la parler, la défendre, l’empêcher de disparaître, c’est de l’amour filial. Vouloir la retrouver et l’écouter, c’est retrouver son quartier ou son village natal et les repères de son enfance. Amour ? nostalgie ? Prévert disait « Je ne suis pas un nostalgique du passé, mais c’était quand même mieux » Sous-entendu ‘avant’. Avant, c’était avant que tout le monde ne parle de la même manière, de Dunkerque à Melles (1).
Les expressions recensées dans cet ouvrage sont celles entendues par l’auteur, dans son village, dans son département et sa région. Celui-ci n’a pas fait d’enquête qui lui eût permis de les recenser toutes. D’autres s’en sont chargés (2). Il y manque donc toutes celles qui se disent dans tous les quartiers ou villages qu’il n’a pas fréquentés de près.
Les personnes les mieux représentées (et les plus citées) sont celles qui sont les plus proches de la terre et des milieux populaires. (La culture rapprocherait-elle de Paris et de la standardisation ?)
La démarche de l’auteur a été celle du photographe qui, craignant de voir disparaître les images de son enfance, multiplie les clichés, afin que l’on se souvienne dans 50 ans d’ici de la saveur de cette langue, lorsque les médias auront gommé toutes les particularités linguistiques de nos coins de France.
(NB : L’auteur a l’accent du Midi-toulousain et il entend le conserver, admettant que d’autres, nés ici, se mettent à prendre l’accent « pointu ». Tolérance.)
Dessins : Les dessins sont de Pertuzé, autre gascon à l’accent d’ici.
(1) Melles : dernier village de Haute-Garonne, avant l’entrée en Espagne.
(2) Voir Bernard Moreux, Robert Razou « les Mots de Toulouse, lexique du français toulousain » (Presses Universitaires du Mirail. Toulouse 2000).